À cinq jours du premier tour des législatives, le Premier ministre Gabriel Attal, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, et le coordinateur de La France Insoumise, Manuel Bompard, se sont affrontés pendant près de deux heures sur le plateau de TF1. Pouvoir d’achat, immigration, retraites, sécurité… les représentants des trois principaux blocs ont confronté leurs programmes, et chacun affirmant sa vision pour la France. Ce qu’il faut retenir de leur prestation.
Gabriel Attal: un Premier ministre offensif, presque donneur de leçons
"La différence entre mes concurrents et moi, c’est que je suis Premier ministre et je n’ai pas envie de mentir aux Français, de leur faire croire à la lune". Visage fermé tout au long du débat, souvent offensif, parfois hargneux même, le Premier ministre a d’emblée tenté de se différencier de ses adversaires en se plaçant dans le camp de la responsabilité. Sur les questions des retraites et du pouvoir d’achat, il a cherché à démontrer les incohérences de leurs propositions. "Augmenter le Smic à 1600 € coûtera 500€ de charges supplémentaires, ça détruira des emplois quand nous avons placé le pays sur le chemin du plein-emploi", a-t-il attaqué Manuel Bompard. "La baisse de la TVA du carburant ne coûtera pas 12milliards d’euros, mais 17milliards. Le delta de 5milliards, c’est le budget du ministère de la Culture", a-t-il taclé Jordan Bardella, comme pour démontrer que lui maîtrise les chiffres.
C’est d’ailleurs surtout le président du RN que Gabriel Attal, a ciblé, oubliant presque l’Insoumis, commentant chacun de ses propos à demi-mot, ou en l’interpellant sur quelques-unes de ses propositions phares. Sur l’exonération des impôts pour les moins de 30 ans par exemple, "une mesure totalement hors-sol. Pourquoi un ouvrier de 31 ans devrait payer des impôts, et pas un trader de 29 ans? M.Mbappé aurait dû rester en France", a-t-il tancé. Mais la séquence qui pourrait rester de ce débat, c’est lorsqu’il a dit lui faire passer un message, "celui de deux jeunes filles, l’une franco-marocaine, l’autre franco-albanaise, qui se sont senties blessées, injuriées, par votre proposition d’interdire des postes de la fonction publique aux binationaux. Elles ne seraient qu’à demi-françaises?", a longuement déroulé Gabriel Attal, renvoyant le RN au FN "de Jean-Marie Le Pen". C’est d’ailleurs sur la question des valeurs que le Premier ministre a conclu son propos, parlant de cette élection comme "d’un rendez-vous avec notre destin". Comme pour montrer, alors qu’il n’a pas cité Emmanuel Macron une seule fois, qu’il est le seul à pouvoir être à la hauteur.
Jordan Bardella: "Une volonté de rassurer parfois un brin chahutée"
"J’incarne une alternance raisonnable et responsable".
En une phrase, lâchée en ouverture de son propos, Jordan Bardella dessinait à la fois les contours d’une ambition et l’ébauche d’un maintien. L’idée-force: rassurer. Et se montrer sous un jour certes déterminé, mais aussi, et surtout, réfléchi et mesuré, comme pour achever une mue, montrer aux auditeurs du débat le produit fini d’une opération de dédiabolisation ciselée. Du costume (chemise blanche, veste et cravate bleu nuit, il avait laissé l’ensemble tricolore si longtemps prisé dans sa formation à Manuel Bompard) à la posture (mains jointes puis amples gestes d’ouverture), tout, en lui, semblait souffler: "N’ayez pas peur!"
Le genre de positionnement pas forcément facile à tenir sur la durée de 90 minutes de joutes verbales parfois tendues, forcément émaillées d’attaques frontales, de remises en cause, d’exigences d’explications face à de supposées incohérences. Le sympathisant aura probablement jugé le défi accompli.
L’opposant se souviendra d’un petit sourire ironique non réprimé quand celui qui était tout récemment la tête de liste du RN aux élections européennes interrogeait Manuel Bompard sur sa politique migratoire. Ou de réflexions agacées ("Vous faites un concours ou quoi?"lancé à ses deux contradicteurs, "Il est temps pour vous de faire vos valises"réservé à Gabriel Attal), signes de relâchement dans sa volonté de s’afficher tout en retenue.
Compliqué aussi de ne pas donner l’impression de viser essentiellement un adverse à qui l’on réserverait ses traits les plus acérés (Gabriel Attal), alors que l’on instrumentaliserait l’autre (Manuel Bompard), en tançant sa supposée gabegie budgétaire pour mieux valoriser le sérieux de son propre programme. Le sien, vraiment, tant: Jordan Bardella s’est peu montré partageur (reconnaissant?) ce mardi soir. Pas une seule fois, il n’a ainsi prononcé le nom de Marine Le Pen. Celui d‘Eric Ciotti, si.
Manuel Bompard: moins à l’aide mais assez peu mis en difficulté
Contrairement à ses concurrents du soir, Manuel Bompard n’a pas endossé les habits de futur Premier ministre en cas de victoire de la coalition de gauche le 7juillet. Représentant du nouveau Front populaire (NFP), le fidèle lieutenant de Jean-Luc Mélenchon costume bleu marine et cravate rouge est resté assez habilement dans son couloir, à gauche toute.
Fidèle à un programme social très généreux, fruit d’une entente nouée dans l’urgence, il s’est montré clinique sur les dossiers, rendant les coups sans tomber dans l’injure. Avec une volonté marquée d’apparaître apaisé, il s’est montré le moins à l’aise du trio, attaché dans un premier temps à éviter les flèches destinées à assurer que son programme "ruinerait" le pays. Il rétorque qu’il est le seul à avoir présenté un programme chiffré et se positionne à rebours de Gabriel Attal et Jordan Bardella qu’il tente de renvoyer dos à dos. En promettant d’emblée de "taxer les plus riches". "Ce qui vous caractérise, lance-t-il à ses deux contradicteurs, c’est que vous ne voulez pas vous attaquer aux ultra-riches". Puis directement à "M. Bardella, vous ne voulez pas toucher aux milliardaires. Votre programme organise un enrichissem*nt des 10% les plus riches du pays au détriment des 30% des plus pauvres".
D’abord sur la retenue, il accepte le combat d’idées sur le débat autour du Smic à 1600€ et du départ de l’âge à la retraite qu’il veut à 62 ans avec un "horizon à 60 ans avec 40 années de cotisation pour une retraite complète. C’est clair et c’est financé".
Manuel Bompard accepte même les débats divergents au sein de sa coalition, comme sur la question du nucléaire en promettant de les trancher par "quelque chose que M. Attal ne connaît pas bien, le débat parlementaire". Probablement surpris de n’avoir jamais été pris à défaut sur les équilibres précaires de son clan ni sur le nom du futur Premier ministre en cas de victoire, Manuel Bompard a pu tranquillement décliner son programme sans véritablement surnager dans ce truel…